Vivian Maier est une énigme.
Cette femme est aujourd'hui considérée comme l'une des photographes de rue les plus talentueuses de l'histoire. Ses clichés sont publiés, commentés, exposés aux quatre coins de la planète, et pourtant... il y a quelque chose qui cloche.
Pendant plus de 30 ans, alors qu'elle gagnait sa vie comme gouvernante d'enfants, elle a consacré son temps libre à arpenter les rues de Chicago armée de son Rolleiflex.
Mondaines en fourrure, enfants aux coudes écorchés, ouvriers en bleu de travail ou sans-abris accablés: tous étaient susceptibles de devenir ses sujets.
Au total, on estime qu'elle a réalisé 120.000 prises de vue. Pas mal pour un hobby.
Mais alors qu'aujourd'hui son talent est loué partout, elle est restée parfaitement inconnue de son vivant.
Pourquoi? Parce qu'elle n'a jamais montré ses photos à quiconque. En fait, elle n'a même jamais fait développer l'immense majorité de ses films et pellicules.
Son œuvre a été découverte - ou "révélée" - peu avant sa mort, survenue en 2009.
A l'époque, octogénaire et sans ressources, incapable d'honorer des impayés, elle a vu ses biens saisis par la justice.
Un lot de plusieurs dizaines de milliers de négatifs et pellicules a donc été vendu aux enchères. L'acquéreur, qui a acheté "à l'aveugle", a vite compris qu'il avait mis la main sur le travail d'une photographe de génie.
C'est ainsi que le monde a découvert Vivian Maier.
Mais pourquoi avoir passé sa vie à prendre des photos sans les faire développer?
Par manque d'argent, expliquera-t-on. Certes, faire tirer des photos coûte cher. Mais se procurer des milliers de pellicules aussi. Elle aurait pu décider d'en acheter moins, pour payer des frais de développement et de tirage.
Elle a donc dû arbitrer. Et elle a estimé que scruter la ville et les gens à travers l'objectif de son appareil lui apportait plus de satisfaction que la jouissance de ses clichés.
En d'autres termes: elle s'est privée du résultat de son travail... pour pouvoir continuer à s'y consacrer. Parce que le voyage était plus important pour elle que la destination.
Evidemment, transposer cette idée à notre monde professionnel serait absurde. Une entreprise a besoin de résultat: c'est une question de survie. Et il est important pour nous tous, pour des raisons de sens et de motivation, de constater les effets de nos efforts.
Mais le parcours de Vivian Maier nous invite, pour une fois, à considérer le chemin qui mène à l'objectif plutôt que l'objectif lui-même.
La question qui se pose est la suivante: comment rendre le travail stimulant, engageant, source de fierté et peut-être de plaisir... indépendamment des résultats qu'il génère?
Ou comment rendre le voyage aussi excitant que la destination?
Mrs Maier avait la réponse. Malheureusement personne ne lui a posé la question.