« S’accomplir dans son job », ça veut dire quoi ? Tentative de réponse avec Ernest Pignon-Ernest.
Ernest Pignon-Ernest est un de nos plus grands artistes. Il est aussi un des pionniers du Street Art international, puisque ses premières interventions « sauvages » dans la rue datent des années 60.
Son truc, c’est le dessin. Il crayonne des personnages grandeur nature pour ensuite coller ses immenses feuilles de papier sérigraphiées dans l’espace public. Vous marchez dans la rue, et tombez nez à nez avec Rimbaud vêtu de jean. Ou avec une famille d’immigrés qui vous interpelle sur le mal-logement. Ou avec David qui vous tend la tête de Goliath comme un inconnu vous offrirait des fleurs…
Evidemment, ses dessins subissent les intempéries. Au fil des ans, ils s’effacent. Les protéger ? Surtout pas : leur caractère éphémère est crucial pour l’artiste. « La fragilité, dit-il, fait partie de ma proposition ». L’œuvre naît, existe… et meurt. C’est le cycle de la vie : hakuna matata.
Tout ça c’est bien beau… sauf que parfois, matata quand même. Explication.
Nous sommes en 1990 à Naples. Avec ses ruelles ombragées et ses mus décrépis, la ville est le terrain de jeu favori de l’artiste. Inspiré par la religiosité des Napolitains, il colle sur le mur d’une chapelle un dessin représentant la Vierge Marie sur son lit de mort, d’après une toile du Caravage (qui a d’ailleurs lui-même pas mal traîné à Naples).
A deux mètres de là, sur le trottoir, une vieille dame reste assise du matin au soir, accoudée à une table de fortune. Antonietta est une figure du quartier. Elle vend des cigarettes, et semble avoir toujours été là. C'est à se demander si elle n'a pas vendu des clopes au Caravage. Au bout de quelques jours, sa présence devient associée à l’image de Marie qui n'en finit pas de mourir à côté. Si bien qu'on la surnomme la Veilleuse de la Vierge.
Seulement voilà : cinq ans plus tard, Antonietta décède. Alors, en hommage, Pignon-Ernest réalise un portrait de la défunte, qu'il colle là où elle avait l'habitude de se tenir. Rapidement, les habitants transforment le collage en autel, l'entourant de fleurs et de chandelles. La Vierge est morte, mais sa Veilleuse demeure.
Jusqu'à ce que le dessin commence à se dégrader.
Vite, il faut sauver l’icône. Les riverains sont d'accord : faisons sceller une vitre sur le dessin. Mais l'artiste s’y oppose : l’éphémère, vous vous souvenez ?
Il propose alors une solution : laisser l’œuvre a son sort... et revenir coller un autre portrait d'Antonietta - différent du premier - quand il aura disparu. Une promesse qu'il honorera en 2011, perpétuant la présence spectrale de la vieille marchande de cigarettes dans cette artère napolitaine.
Au prix d’un dessin original, il a satisfait le besoin des riverains sans trahir sa propre éthique.
Morale de l'histoire : s'accomplir dans son travail, c'est parvenir à conjuguer trois choses. L’expression de son talent, le respect de ses principes, et le sentiment d’être utile à autrui.
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