Une araignée de quelques millimètres suscite chez la plupart d'entre nous un sentiment de répulsion, allant du simple dégoût à la terreur absolue.
Alors que dire d'un spécimen en acier de 10 mètres de haut, dressé sur ses pattes effilées et portant dans son abdomen d'énormes œufs en marbre?
Il existe une dizaine d'exemplaires de cette œuvre, disséminés sur tous les continents, toujours dans l'espace public. Et en général, elle provoque un rictus de dégoût... puis un accès de curiosité. Alors on cherche le cartel pour en savoir plus.
Son auteure? Louise Bourgeois (1911-2010)
Sa date de création? 1999
Son titre? Maman
"Maman"?!... Mais dans quel type de famille déglinguée associe-t-on l'image de la mère à une bestiole aussi repoussante? Quelle enfance affreuse a vécu la petite Louise pour nous infliger cette vision menaçante?
Eh bien justement... En creusant un peu, on réalise qu'on est à côté de la plaque.
Louise Bourgeois explique: "L'araignée est une ode à ma mère. Elle était ma meilleure amie. Comme une araignée, ma mère était une tisserande, elle restaurait des tapisseries. Et comme les araignées, elle était très intelligente. Les araignées dévorent les moustiques, qui propagent les maladies. Elles sont donc bienfaisantes et protectrices. Comme l'était ma mère."
La métaphore est aussi contre-intuitive que légitime. Là où notre instinct disait "Beurk", Louise Bourgeois hurlait "Maman je t'aime." L'erreur de jugement est grossière, mais universelle.
En jouant sur l'écart entre le sens présumé de l'œuvre - porté par un imaginaire collectif largement partagé - et sa signification intime, l'artiste nous tend un piège... et nous fonçons dans sa toile.
Cette œuvre met au jour notre irrésistible mais dommageable tendance à interpréter sans discernement.
Notre cerveau est une machine à donner du sens. Il déchiffre les informations qui lui parviennent sans même que nous en ayons conscience.
Une phrase, une image, un événement... et on se fait aussitôt un avis, au risque d'extrapoler à partir d'informations partielles ou biaisées.
Une araignée appelée Maman? - "Cette artiste devait haïr sa mère."
Une remarque maladroite? - "Ce type me déteste."
Un oubli dans un dossier? - "Cette collègue est négligente."
Une exigence déraisonnable? - "Ce client est un c**!"
Mais s'il y avait une autre explication?
Le seul moyen de le savoir, c'est de chercher, parler, questionner pour comprendre, et peut-être faire preuve d'empathie. Cet effort est rarement vain.
Méfions-nous donc des jugements hâtifs. En confondant intuition et vérité, nous risquons de nous méprendre sur les gens qui nous entourent, leurs intentions et les situations que nous vivons.
Alors la prochaine fois que vous apercevez une araignée, pensez-y à deux fois avant de dégainer votre balais. ;)