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L'essentiel et l'accessoire

Grégoire Jeanmonod

La photographie de mode possède ses règles, ses codes, son histoire... et ses stars.


L'Italien Paolo Roversi, à cet égard, est un géant.


Difficile de parler de lui sans aligner les superlatifs: il a travaillé pour les plus grands magazines de mode, pour les plus grandes maisons de luxe, avec les plus grands mannequins...


Mais au delà de son CV, c'est son style qui mérite notre attention.


Dans son petit studio parisien - où il est installé depuis un demi-siècle -, il a développé une esthétique très singulière, poétique et minimaliste, qui confère à ses clichés une dimension artistique indéniable.


Mais le plus étonnant, c'est que pendant 30 ans il a utilisé un medium qui n'avait à l'époque pas sa place sur le papier glacé des magazines de mode: le Polaroïd.


A force d'expérimentations, il a appris à maîtriser les subtilités de la photo instantanée: effets de lumière, de couleurs, de textures... et toutes les manipulations à effectuer sur le film avant ou après l'apparition de l'image.


Cette passion lui a d'ailleurs valu le surnom de "Paoloroïd" (comme quoi on peut bosser dans la mode et avoir de le sens du calembour).


Mais en 2008, coup de tonnerre: Polaroïd met la clef sous la porte. Les usines ferment: plus aucun film n'en sortira. L'avènement du numérique a eu raison de la photographie instantanée.


Si des entrepreneurs nostalgiques la ressusciteront plus tard, Roversi se voit pour l'instant privé de la technique dans laquelle il a investi tous ses efforts.


Mettez-vous à sa place: alors que vous avez passé des années à apprivoiser une technique au point d'en devenir le maître incontesté, la voilà soudainement obsolète.


Le photographe raconte: "Ca a été une catastrophe. J'ai cru que j'allais tout arrêter." Avant d'ajouter: "Mais j'ai admis que la technique n'était qu'un outil."


Il s'est donc mis, comme la plupart de ses confrères, au numérique. Et rapidement, il a renoué avec le charme si particulier de ses photos instantanées.


Il a réalisé alors que son expertise ne résidait pas dans la maîtrise de l'appareil, mais dans son aptitude à concevoir des images d'une poésie rare avec un sens aigu de la lumière. L'appareil n'était qu'un moyen d'exprimer ce talent.


Nous confondons souvent expertise et maîtrise d'un outil. C'est pourquoi tout changement de matériel ou de technique soulève une question anxiogène: et si notre valeur ajoutée devenait nulle?


C'est oublier que nos acquis les plus précieux portent sur d'autres talents, largement plus décisifs que l'utilisation d'un instrument: la capacité à élaborer une vision, conduire un projet, générer des idées innovantes, manager des équipes, comprendre des clients, etc... 


Voilà la leçon de Paoloroïd: l'outil est accessoire, l'expertise est essentielle. Le premier peut être remplacé, la seconde doit être cultivée.


Sinon vous auriez lu ce post sur un Minitel.

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