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  • Grégoire Jeanmonod

Le paradoxe du génie


Je vais vous faire un aveu : j'ai longtemps été exaspéré par Salvador Dali.


J'ai toujours admiré, c'est vrai, sa folie créative, sa virtuosité et son audace.


Mais le personnage est indissociable de sa mégalomanie. Le "Divin Dali", comme il s'était lui-même surnommé, se félicitait de son génie "proche de celui des anges" et prétendait avoir "inspiré toute son époque". C'est plus un melon, mais une pastèque boostée aux stéroïdes.


Bien sûr, je comprends le second degré. Tout ça était un jeu, une mise en scène, de la provoc pour amuser la galerie. Pour "faire le buzz" dirait-on aujourd'hui.


Il n'empêche : qu'il mette si souvent mis sa répartie au service de son image a longtemps fait de lui, à mes yeux, un symptôme annonciateur de l'égocentrisme et de l'autopromotion permanente qui sévissent dans notre société.


Et puis, il y a quelques années, je suis tombé sur une interview où il parlait de Gala.


Gala, c'est la femme qui a partagé sa vie pendant plus de 50 ans. Elle a été sa femme, sa muse, son modèle. Il l'a peinte des dizaines de fois, de face comme de dos, nue ou habillée, en sainte vierge, en déesse grecque, en paysanne ou en courtisane. Il l'a magnifiée, adulée... atomisée même, en conjuguant ferveur religieuse et physique quantique.


Mais elle était aussi son agent. Négociatrice intraitable et gestionnaire hors pair, elle a fait rayonner son talent et assuré leur fortune. Et on sait combien Dali aimait l'argent: ce n'est pas pour rien qu'André Breton, pour le désigner, avait inventé l'anagramme Avida Dollars.


Dans cette interview, après avoir tressé sa propre couronne de lauriers, Dali parlait de sa femme en ces termes: "Sans Gala, tout est fini."


Parlait-il d'amour? D'inspiration? De renommée? D'argent?... Peu importe. Ce qui me semble important, c'est que cet homme puisse déclarer, quasiment dans la même phrase : "Je suis un génie" et "Sans Gala, je ne suis rien."


Dali, du haut de son trône, nous rappelle qu'on aura beau être le meilleur dans notre job, le plus performant, le plus respecté... notre talent et notre succès seront toujours conditionnés par autrui.


Quand bien même notre génie serait avéré, nous avons besoin d'une présence et d'un regard extérieur. Une "muse", un mentor, un modèle, un partenaire, un client pourquoi pas, voire un compétiteur, puisque la rivalité est cousine de l'émulation.


Se regarder le nombril n'a jamais inspiré personne. C'est dans nos relations que nous apprenons et progressons. Ce sont elles qui nous font briller parfois, douter souvent, avancer toujours...


Voilà ce que Dali, derrière son arrogance, nous rappelle. Affirmer notre expertise n'est pas un mal. Au contraire. A condition que nous fassions preuve, en même temps, d'humilité dans notre rapport à l'autre.


Nous aurons beau être des génies, nous ne serons rien sans personne à nos côtés.


Merci Salvador. Finalement, je vous aime bien.

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