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Grégoire Jeanmonod

De l'art de dire merci


Nous disons merci plusieurs fois par jour. A la boulangère qui nous tend une baguette, à un usager du métro qui nous tient une porte, à un collègue qui nous donne une info...


Mais tous les mercis se valent-ils ?


En 1819, le peintre espagnol Francisco de Goya, âgé de 73 ans, souffre d’une maladie qui met sa vie en péril. Mais il s’en sort grâce à un médecin : Eugenio Arrieta.


Ca mérite bien un petit geste de gratitude, non ?


L’artiste aurait pu se contenter d’un « Gracias doc, voilà vos pesetas, et hasta luego. » Après tout l’autre n’avait fait que son boulot.


Au lieu de ça, il a peint ce tableau.


On y voit Goya, alité, à moitié inconscient, et derrière lui, assis sur le lit, le médecin qui le soutient pour lui faire boire une potion.


Au fond, on devine trois visages : ce sont les Parques, ces divinités romaines qui décident de la vie et de la mort de chaque individu. Elles sont là, dans l'ombre, prêtes à couper le fil de l’existence du peintre. Ce qu’elles feraient si le médecin ne s’interposait pas entre elles et le malade. Arrieta n’est plus seulement soignant : il est protecteur. Grâce à lui, les Parques devront repasser dix ans plus tard.


Que ce tableau ait été offert au médecin ou non n’est pas la question. Parce qu'un témoignage de gratitude ne trouve pas sa force dans la valeur d’un cadeau, mais dans la beauté d’un geste, le sens d’un effort.


En l’occurrence, cette œuvre nous rappelle deux choses sur le merci.


D’abord, Goya a peint cette image en sachant qu'elle entrerait dans l’histoire. Il a pourtant accepté de se montrer dans une position de grande vulnérabilité. Il a aussi pris soin de nommer Arrieta dans la légende en bas de la toile. Ce faisant, il faisait entrer le médecin dans une lumière qui n’est pas près de s’éteindre. C’est la première leçon : un merci devrait être formulé en public. Parce que dire merci revient à admettre que l’autre nous a aidés, et donc que nous lui sommes redevables. En le faisant devant témoins, nous assumons publiquement cette dette morale.


Ensuite, un merci devrait être justifié explicitement. Merci pour quoi ? Goya n’a pas simplement réalisé un portrait d’Arrieta : il a peint ce que le médecin avait fait pour lui. Son dévouement, sa douceur, ses gestes à la fois fermes et attentionnés. Et surtout, l’obstacle qu’il impose de son corps à la mort qui guette. Avec ce tableau, Goya dit : "Voilà ce que vous avez fait pour moi". C’est ce qui fait la différence entre un merci machinal et un merci profond, sincère, impactant. Dire à l’autre ce que nous lui devons, c’est souligner la valeur de son geste, de son intention… ou de son travail.


Alors merci de me lire au fil de mes publications : vous donnez du sens à ces heures passées devant mon PC, et me faites me sentir un peu... utile ! 😉

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