On connaît tous la peinture d'Amedeo Modigliani. Mais l'artiste a aussi pratiqué la sculpture avec passion.
C'est en 1909 qu'il a commencé à manier le burin. Et ses débuts avec la pierre ont donné naissance à une histoire digne d'un docu Netflix.
Cette année-là, Modigliani a séjourné dans sa ville natale de Livourne. Selon la légende, il aurait taillé là ses premières têtes dans des blocs de pierre. Mais les moqueries de ses amis devant le résultat l'auraient poussé à les jeter dans le Fosso Reale, les douves encerclant la ville.
L'histoire se poursuit 64 ans après la mort de l'artiste. En 1984, pour le centenaire de sa naissance, les patrons du Musée d'Art Moderne de la ville se disent que ce serait quand même chouette de retrouver ces fameuses têtes.
On drague donc le fond du Fosso Reale... jusqu'à ce que soient découvertes trois têtes de pierre à l'aspect rudimentaire.
Les médias célèbrent la pêche miraculeuse, tandis que des experts sont consultés pour authentifier les œuvres. Résultat: elles sont bien de Modigliani! L'émotion populaire est à son comble.
Sauf qu'alors... trois étudiants déclarent être les auteurs de l'une des sculptures. Ils disent avoir monté ce canular en taillant la pierre à l'aide d'une simple perceuse. Photos de l'opération à l'appui. Gros coup de pub pour Black & Decker.
Tant pis: il reste les deux autres têtes. Oui... mais non. Parce qu'un artiste local, Angelo Froglia, révèle à son tour que celles-là sont de lui. Encore un canular? Non, plutôt un happening censé "mettre au jour les mécanismes de persuasion collective."
Et pour montrer à quel point l'aveuglement était total, il a badigeonné l'arrière de ses sculptures avec un goudron qui n'existait pas en 1909.
Comment des experts ont-ils pu tomber dans le panneau? Confondre un burin de sculpteur et un foret de perceuse? Passer à côté de tâches de goudron?
Par négligence? Incompétence?
Non: juste par enthousiasme.
On avait envie d'y croire... alors on y a cru.
Cette histoire illustre un phénomène bien connu: nous accordons plus facilement du crédit à des informations qui nous font plaisir.
Si une nouvelle est de nature à créer un sentiment de satisfaction - parce qu'elle corrobore notre vision du monde ou qu'elle répond à un souhait - notre esprit critique baisse la garde. C'est humain, mais c'est terrible.
Parce qu'à l'heure des fake news, si chacun croit ce qui le conforte dans ses opinions ou satisfait ses désirs, et nie ce qui va à leur encontre, alors les positions ne peuvent que se radicaliser et les esprits se polariser.
Personne ne sait si Modigliani a jeté quoi que ce soit dans le Fosso Reale. Mais une chose est sûre: nous devons cultiver notre esprit critique et l'exercer avec une vigilance accrue à l'égard des infos qui vont dans le sens de nos idées.
Sans quoi c'est l'humanité entière qui va perdre la tête.