Une fois n'est pas coutume, ce post est consacré à des œuvres que je ne peux pas vous montrer. En fait je ne suis pas sûr qu'elles aient jamais existé. Et pour cause : l'histoire se déroule au Vème siècle avant JC.
Relaté par plusieurs auteurs anciens, cet épisode tient plus du mythe que de la vérité historique. Mais il n'en est pas moins édifiant.
Les protagonistes sont deux des plus grands peintres de la Grèce Antique : Zeuxis et Parrhasios.
Le premier est le maître du trompe-l'œil : il excelle à simuler la perspective, les ombres et les textures.
Le second est réputé pour la précision de son trait et la finesse de son coup de pinceau.
Parrhasios est moins célèbre que Zeuxis, mais il a une fixette : prouver qu'il est le meilleur.
Voilà donc qu'il provoque son illustre rival en duel. Un duel de peinture, ça va de soi. Chaque artiste doit présenter une œuvre : la plus réussie apportera la victoire à son auteur.
Le jour J, devant un jury d'esthètes, chaque compétiteur apporte un panneau de bois recouvert d'un rideau.
Zeuxis, favori, dévoile son œuvre en premier. Il a peint une grappe de raisins. Les fruits semblent si réels que bientôt des oiseaux se posent sur le bord du tableau et tentent de picorer les grains. L'assemblée s'extasie : le match semble plié.
L'artiste, triomphant, se tourne alors vers son challenger : c'est à son tour d'ôter le rideau qui couvre son œuvre.
Parrhasios ne bouge pas.
Zeuxis s'élance donc vers le tableau pour en écarter les pans de tissu.
Stupeur générale : le rideau est peint en trompe-l'œil, et personne ne s'en est aperçu.
Zeuxis, beau joueur, reconnaît sa défaite. Car s'il a réussi à tromper des oiseaux, son adversaire l'a dupé lui, en même temps que les jurés.
La fable est charmante. Mais surtout elle nous livre, par-delà les 25 siècles qui nous séparent des faits, une idée qui n'a rien perdu de sa valeur.
Zeuxis a livré une brillante démonstration de sa virtuosité. Mais Parrhasios, lui, a offert aux jurés une expérience plus intense : il les a surpris.
Voilà la leçon : la surprise est la plus impactante des démonstration.
Vous êtes commercial et devez convaincre ?
Vous êtes dirigeant et devez fédérer ?
Vous êtes manager et devez motiver ?
Vous êtes formateur et devez transmettre ?
Alors souvenez-vous de Zeuxis et Parrhasios. Vous pourrez déballer des arguments implacables pour vendre vos raisins, vanter leur saveur avec une verve à faire saliver les moineaux... vous ne serez jamais aussi efficace que si vous arrivez à surprendre vos interlocuteurs.
Surprendre, c'est offrir à l'autre une expérience à laquelle il ne s'attend pas parce que son cerveau - cette machine à anticiper - n'a pas su la prédire.
Alors, il n'est plus seulement question de raison, mais d'émotion. C'est ça, peut-être, qu'on appelle "émerveiller".
Gravure : Jacob von Sandrart, XVIIème siècle
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