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Grégoire Jeanmonod

La face obscure du personal branding


Le personal branding est vieux comme le monde. Le personal faking aussi.


La preuve avec un artiste du XIXe siècle : JMW Turner.


Ce tableau représente un bateau à vapeur en pleine tempête. La mer est démontée, le ciel apocalyptique. Les éléments s’acharnent sur l’embarcation... et l’œuvre de Turner a subjugué ses contemporains.


L'artiste a raconté à son ami le révérend Kingsley les circonstances qui lui ont permis de peindre le chaos de manière aussi saisissante.


Il avait embarqué sur un navire baptisé l’Ariel, dans le port d’Harwich, quand une tempête de neige a éclaté. Au lieu de se réfugier dans sa cabine, il a vu là une occasion d’observer la puissance des éléments déchaînés, pour mieux les peindre ensuite. Il a donc demandé au capitaine de l'encorder au mât du bateau, tel Ulysse s'attachant au mât de son navire pour résister au chant des sirènes. « Je suis resté là pendant quatre heures, sans penser en réchapper. »


Turner savait qu’en livrant ce récit à un homme de foi et d’influence, il garantissait à la fois sa diffusion et sa crédibilité… et écrivait ainsi sa propre légende.


Ce qu’il ne savait pas en revanche, c’est que plus tard, des historiens tatillons chercheraient la trace d’un navire baptisé l’Ariel amarré dans le port d’Harwich en 1841… et qu’ils ne trouveraient rien. Pas plus que la moindre note sur une tempête survenue à cette date.


Alors Turner, gros mytho ?


Difficile à affirmer. Notons tout de même qu’Ariel est le nom d'un personnage d’une pièce de Shakespeare intitulée… La Tempête. La référence shakespearienne s’ajoute au récit homérique : c’est trop beau pour être vrai.


Comme tout bon mensonge repose sur un fond de vérité, on imagine que le peintre a pu en effet se trouver sur un bateau un jour de houle, et qu’au lieu de s’asseoir il a préféré se tenir à la balustrade pour vomir tripes et boyaux. Son récit serait alors juste une version un peu embellie de la réalité.


Peut-on vraiment lui en vouloir d’avoir inventé cet épisode ? Car après tout, le tableau reste un chef d’œuvre et Turner un peintre immense.


Alors je pose la question ici sur LinkedIn, agora de l'auto-promotion : a-t-on le droit de prétendre n'importe quoi sous prétexte qu'on est bon dans son job ?


Chacun verra midi à sa porte.


Mais je m’adresse aux adeptes du storytelling fumeux, aux mythomanes compulsifs qui ne peuvent pas s’empêcher d’enjoliver leur réalité. Par pitié, quitte à mentir, faites-le avec panache. Epargnez-nous les demi-vérités sur votre CA. Faites-nous rêver. Soyez épiques. Soyez poètes. Invoquez Shakespeare, Homère et les autres. Racontez-nous les dragons et chimères que vous avez pourfendus avec l'emphase que méritent vos exploits.


On ne vous croira pas davantage, mais au moins on profitera de vos talents de conteurs. C'est déjà ça.

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