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Grégoire Jeanmonod

Des clients comme par magie


L'Enseigne de Gersaint, par Antoine Watteau, est née d'une belle amitié.


Nous sommes en 1718, à Paris. Un incendie a ravagé le quartier de Notre-Dame et le jeune marchand d'art Edme-François Gersaint est dévasté : sa boutique est partie en fumée.


Il doit vite relancer ses affaires. Alors il réunit ce qui lui reste de capital, et rachète le fonds de commerce d'une galerie située sur le Petit-Pont, baptisée Au Grand Monarque. 


Et maintenant, il doit faire rentrer de l'argent au plus vite : il lui faut un ROI miraculeux.... et un bon coup de pub.


C'est alors qu'intervient son ami le peintre Antoine Watteau, très en vogue à la Cour. 


Watteau est résolu à aider Gersaint. Parler de lui ici et là ne suffira pas : il faut faire le buzz.


L'artiste projette de peindre une toile de 3 mètres de large qui, exposée dans la rue, servira d'enseigne à la boutique de son ami.


Il va même plus loin : l'oeuvre représentera l'intérieur de la galerie. On y verra des tableaux, admirés - preuve sociale oblige - par des aristocrates avec perruques poudrées et robes de satin.


Mais Watteau est lucide : il n'y a pas là de quoi affoler les réseaux sociaux. Il faut rendre l'œuvre plus originale. Unique. Magique.


C'est là que l'artiste se fait illusionniste.


Puisque la toile sera exposée dans la rue, les gens qui la verront seront à l'extérieur. L'idéal serait d'adopter leur point de vue, en peignant la boutique depuis la chaussée. Mais comment alors en montrer l'intérieur ?


Réponse : en rendant la façade totalement transparente. On aura l'impression de voir à travers la pierre.


Watteau vient d'inventer les effets spéciaux. Et la toile, peinte en quelques jours, tient ses promesses.


Au premier plan : les pavés du Petit-Pont (sans trottoir à l'époque), un chien et une botte de foin. C'est l'extérieur.

Derrière : la galerie, les tableaux, les clients et les employés. C'est l'intérieur.

Et entre les deux, une femme qui franchit le seuil de la boutique.


Jamais on n'avait vu une telle œuvre. Pendant quinze jours, elle est exposée sur la devanture du Grand Monarque. L'Enseigne devient une attraction : on se presse pour admirer le prodige du mur invisible... et les clients affluent.


Watteau avait du talent. Mais surtout, il a eu une idée. Simple, mais originale. Exécutée avec une palette et quelques pinceaux.


A l'heure de l'IA, du digital et de la robotique, nous pourrions oublier qu'à l'origine de toute véritable innovation, il y a juste ça : une idée.


Mettre de la technologie partout pour se prévaloir d'un caractère innovant, c'est confondre la fin et les moyens.


Car c'est dans notre capacité toute humaine à inventer et à imaginer que naissent les meilleurs projets. Les outils ne sont qu'une aide à leur mise en œuvre.


N'oublions jamais que rien ne vaut une idée simple... et élégante. Comme l'Enseigne de Gersaint.

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