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  • Grégoire Jeanmonod

Au-delà de la rivalité


Ca, c'est la Chapelle du Rosaire, à Vence. Sa particularité: elle a été entièrement dessinée et décorée par Henri Matisse. Et de mon point de vue d'athée, elle parle moins de confrérie religieuse que de confraternité professionnelle.

 

Matisse la considérait comme son "chef d'œuvre". Le truc, c'est que quand il s'attèle au projet, à la fin des années 40, il a déjà 80 ans (et un méchant cancer qu'il traîne depuis 8 ans). Alors évidemment, le challenge en surprend quelques-uns.

 

La détermination de Matisse est d'autant plus admirable que certains font tout pour le dissuader. Parmi eux: Pablo Picasso. Le rival. Matisse et Picasso, c'est Bill Gates et Steve Jobs avec des pinceaux. Ils se connaissent depuis le début du siècle, ils ont tous les deux contribué à l'avènement de l'art moderne (Cubisme pour l'un, Fauvisme pour l'autre), et ils ont passé leur vie à se réinventer… tout en surveillant leur compétiteur et en se faisant un devoir de répondre à chaque coup d'éclat par un coup d'éclat plus impressionnant. De l'amitié, certainement. De l'émulation, assurément.

 

Alors quand Matisse annonce qu'il va construire une chapelle, Picasso se fend d'une lettre: "Mais pourquoi faites-vous ça ? Vous n’êtes même pas croyant, vous n'en avez donc pas le droit." Réponse: "Picasso, ne faisons pas les malins. Quand tout va mal, nous nous jetons tous dans la prière." S'ensuit une correspondance aussi aimable qu'un fil de commentaires sur LinkedIn. Par exemple: "Après votre mort, on fera dans votre chapelle une halle pour vendre des légumes." Ambiance.

 

Bref, Matisse s'obstine, et terminera sa chapelle en 1951. L'autre sera tellement furax qu'il décidera de décorer lui aussi une chapelle, dans le château de Vallauris. Il est comme ça, Picasso.

 

Ca, c'est l'Histoire. Mais comme souvent, le plus intéressant, c'est l'anecdote. En l'occurrence, un incident survenu pendant le chantier de la chapelle.


A l'été 1949, Matisse attend fébrilement les 200 carreaux de céramique blancs, faits à la main, qu'il a commandés à un artisan. Il est épuisé: il passe ses journées à monter et descendre d'un escabeau, au point de faire régulièrement des malaises (rappelez-vous: il a 80 piges). Et voilà que ses précieux carreaux arrivent... presque tous brisés. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il s'effondre. (Matisse, pas le vase)

 

Mais qui c'est qui débarque alors pour lui poser la main sur l'épaule et l'encourager à reprendre le travail? Ben oui: Picasso. Bon, il n'a pas non plus traversé la France au volant de son Hispano-Suiza, puisqu'il habite à Vallauris, à 30 km de là. Mais quand même: le soutien est venu de là où on l'aurait attendu le moins. Parce qu'au-delà de la rivalité et de la jalousie, il y a l'estime, l'empathie et la conscience que les difficultés de l'autre pourraient être les nôtres. En un mot: la confraternité.

 

Morale de l'histoire: un concurrent n'est pas un adversaire... et pour l'amour de Dieu, soyons sympas sur LinkedIn.



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