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Grégoire Jeanmonod

L'invisible et le non-dit


Si vous êtes déjà allé à l'Opéra Garnier, vous avez pu admirer l'un des derniers chefs d'œuvre de Marc Chagall.


C'est en 1962 que le Ministre de la Culture André Malraux a commandé à l'artiste - âgé de 75 ans - une fresque de 220 mètres carrés pour orner le plafond et apporter une touche de modernité à ce temple de l'architecture XIXème.


Mais Charles Garnier, architecte de l'Opéra dans les années 1870, n'avait pas attendu les conseils déco de Malraux pour faire peindre son plafond. Il avait confié la tâche au très académique Jules-Etienne Lenepveu.


Pendant près d'un siècle, c'est donc la fresque de ce dernier, pleine d'anges virevoltants et de guirlandes de fleurs, qui a surplombé la scène. Quoi qu'on en pense, le choix de Garnier était raccord avec les moulures dorées et les colonnes en marbre.


L'édifice étant classé Monument Historique, il n'était pas question de détruire l'œuvre.


Alors il a été décidé que la nouvelle fresque recouvrirait la précédente sans l'endommager. Chagall a donc travaillé sur des panneaux amovibles qui ont ensuite été apposés à 10 cm du plafond.


Depuis 60 ans, les anges de Lenepveu sont ainsi soustraits aux regards des spectateurs.


Bien sûr, le projet a relancé à l'époque la querelle des Anciens contre les Modernes. Mais ses partisans étaient clairs : "C'est provisoire, les panneaux sont amovibles". Et comme Chagall a offert son travail à la France, le coût de l'opération était raisonnable.


Aujourd'hui, peu de voix s'élèvent contre le plafond de Chagall. Mais certains regrettent l'invisibilisation de l'œuvre de Lenepveu.


L'an dernier, les descendants du peintre ont entamé une démarche pour que la fresque actuelle soit démontée.


Selon eux, l'œuvre originale est indissociable du monument, et la cacher constituait, dès le départ, une atteinte à l'intégrité du lieu. Malraux, sans consulter personne, aurait pris une décision illégale.


Pour l'instant, on leur a opposé une fin de non-recevoir. Mais le dossier n'est pas clos.


Je suis un partisan de la modernité, et j'aime le dialogue des époques. Mais dans ce cas, je m'interroge : la plainte n'est-elle pas fondée, après tout ?


Cette affaire nous rappelle une chose : mieux vaut communiquer en amont que gérer des conflits en aval.


Le tort de Malraux n'a pas été de vouloir moderniser l'Opéra, mais de l'avoir fait sans consulter les parties prenantes ni expliciter les détails du projet. En laissant régner un flou quant à son aspect "provisoire", il a créé une situation délicate.


Quand nous prenons une décision, assurons-nous que toutes les personnes concernées en sont informées, et soyons clairs sur les termes de l'opération.


Le non-dit est confortable, mais contient toujours les germes de problèmes futurs. La transparence, elle, demande du courage. Mais c'est la marque du respect et de la responsabilité.


Avant d'agir, pensons aux anges invisibles de l'Opéra.

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