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  • Grégoire Jeanmonod

Le pourquoi et le comment


Depuis quelques années, la notion de "sens" s'est imposée comme un enjeu prioritaire à tous les échelons de nos entreprises. C'est l'avènement du "pourquoi". Et bien sûr, on doit s'en féliciter.


Mais je crains que définir le "pourquoi" soit inutile si on oublie de s'occuper du "comment".


Regardez ces photos. Elles datent des années 1930, et ont été prises par deux jeunes photographes : l'Américaine Margaret Bourke-White et le Franco-Hongrois François Kollar.


Au même moment - et sans que ces projets soient liés -, ils se sont vu confier dans leurs pays respectifs une mission ambitieuse: documenter le monde industriel.


Coïncidence? Pas vraiment. Après le krach de 1929, la crise sévissait en Amérique comme en Europe: il était urgent de rassurer en évoquant une économie solide, une industrie prospère et un travail émancipateur.


Kollar et Bourke-White avaient donc le même "quoi" - photographier l'industrie - et le même "pourquoi" - rétablir la confiance.


Pourtant, leurs photos sont très différentes.


Bourke-White, fille d'ingénieur industriel, a montré le gigantisme des machines, la démesure des engrenages, l'immensité des chaînes de production.


Kollar, ancien ouvrier chez Renault, s'est attaché au savoir-faire humain: la précision des gestes, la maîtrise des outils et l'amour du travail bien fait.


Ce qui distingue leurs photos n'est donc ni le "quoi", ni le "pourquoi", mais le "comment". Et c'est ce "comment" qui fait la force et la singularité de leur travail.


Est-ce une question de sensibilité? De culture? D'idéologie?... Un peu de tout ça, probablement. Et de stratégie. Car la France n'est pas l'Amérique.


Bourke-White, aux USA, a pris ces photos pour le magazine Fortune, lancé par le magnat Henry Luce. Il s'agissait de montrer la puissance de l'industrie nationale pour souligner l'efficacité du capitalisme américain. D'où ces photos façon Les Temps Modernes XXL.


Kollar, en France, répondait à la commande d'un éditeur qui souhaitait publier une série de revues intitulée la France travaille. Peu avant le Front Populaire, il fallait se rappeler la noblesse des ouvriers, leur fierté et la force de leur engagement. D'où ces portraits aux accents humanistes.


Bourke-White et Kollar ont ainsi apporté une réponse spécifique à un problème commun. Et c'est ce qui a fait d'eux des grands photographes.


Alors c'est vrai : identifier le sens de notre mission est indispensable. C'est un cap, une motivation, et un levier d'épanouissement sans pareil.


Mais cela ne devrait pas nous dispenser de réfléchir à la manière de procéder. Car c'est là que s'exprime notre talent : dans les décisions que nous prenons, les arbitrages que nous réalisons, les priorités que nous fixons.


Nous avons raison de nous demander "pourquoi". Nous aurions tort de ne pas nous demander "comment". C'est tout aussi noble, et peut-être encore plus stimulant.

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