C'est un homme étonnant que ce Gaspard-Félix Tournachon.
Avec un nom pareil, pas étonnant qu'il soit entré dans l'histoire sous son pseudonyme: Nadar.
Ce Lyonnais d'origine a été le plus grand photographe de portraits de son temps. De Baudelaire à Delacroix, de Sarah Bernardt à Georges Clémenceau, toutes les célébrités du Paris des années 1850 à 1880 sont passées devant son objectif.
Pourquoi? Parce qu'à une époque où la photo, encore balbutiante, était davantage une prouesse technologique qu'une discipline artistique, Nadar a inventé un style tout en subtilité et en justesse qui ne pouvait pas laisser indifférent.
Son secret, il l'a lui-même révélé: "La photographie est à la portée du premier des imbéciles, elle s’apprend en une heure. Ce qui ne s’apprend pas, c’est la capacité à saisir l’intelligence morale de votre sujet, (...) cet instant de compréhension qui vous met en contact avec le modèle, qui vous aide à le résumer, vous guide vers son caractère."
Vraiment M. Tournachon, ça ne s'apprend pas? Ce talent pour cerner votre sujet, pour "résumer son caractère" en une image, serait un don inné? Si vous permettez, c'est oublier d'où vous venez.
Car avant de se lancer dans la photographie, Nadar a été journaliste et... caricaturiste.
Pendant dix ans, armé de son crayon, il a croqué pour des journaux satiriques les personnages illustres de son temps, politiciens et artistes.
Evidemment la démarche est différente: la caricature consiste à exagérer les traits les plus ingrats d'un sujet, alors que la photographie vise à l'immortaliser sous son meilleur jour.
Mais dans les deux cas, il est question d'observation, de compréhension et d'esprit de synthèse.
Alors, Nadar aurait-il été un aussi grand photographe s'il n'avait pas été caricaturiste? Au risque de dire une énormité, je répondrais non.
Car ma conviction, c'est que ses caricatures ont été pour lui l'occasion d'apprendre - oui, "d'apprendre" - à analyser une physionomie, interpréter une posture, distinguer un bon profil d'un mauvais, apprécier ce qui fait la singularité, grâce ou disgrâce, d'un visage...
Nombreux parmi nous avons déjà changé de profession au cours de notre carrière. Et nous serons peut-être encore appelés à le faire, par choix ou par obligation.
Gardons alors à l'esprit qu'un changement de carrière ne consiste pas à repartir de zéro, mais au contraire à aborder une activité autre avec un bagage qui a de la valeur.
L'enjeu est de valoriser ces acquis dans notre nouveau job: de même que Nadar a mis à profit son talent de caricaturiste dans son activité de photographe, nous pouvons déployer l'expertise gagnée au fil de notre parcours dans nos projets à venir.
Nous serons non seulement plus performants, mais aussi plus épanouis.
Parce que nous trouverons dans notre métier un moyen d'exprimer ce que nous sommes. Un peu comme dans un portrait de Nadar.