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Rivalité à l'Anglaise

Grégoire Jeanmonod

Au XIXème siècle, l'exposition de la Royal Academy est l'événement phare de la scène artistique britannique.


En 1832, deux géants de la peinture anglaise ont prévu d'exposer: Joseph Mallord William Turner, membre éminent de la Royal Academy, et John Constable, paysagiste de génie.


Turner va présenter Helvoetsluys, Ville d'Utrecht, 64. Du nom d'un port hollandais et d'un ancien navire de guerre. Pour la faire courte, il a peint le départ d'un vaisseau sur la Mer du Nord à la fin du XVIIème siècle.


Constable va proposer un tableau sur lequel il travaille depuis 10 ans: l'Inauguration du Pont de Waterloo. Une façon de commémorer un événement qui s'est tenu en grande pompe au cœur de Londres en 1817.


Evidemment, les deux artistes sont plus que rivaux. Et le jury - qui décide de l'accrochage des toiles dans les salles de Somerset House - a choisi d'exposer leurs œuvres côte à côte. Eh oui, les jurés sont facétieux.


Quand vient le jour du vernissage - la veille de l'ouverture au public - Turner est dévasté: son tableau est littéralement éclipsé par celui de Constable.


Non seulement le sujet traité par ce dernier est plus moderne, mais en plus l'œuvre de son rival est presque deux fois plus grande que la sienne. De surcroit elle présente des contrastes spectaculaires avec des touches de pourpre et d'or, alors que son Helvoetsluys est tout en nuances pâles et froides.


Quand elles sont côte à côte, on ne voit que le tableau de Constable.


Mais Turner n'est pas homme à s'avouer vaincu. En pleine salle d'exposition, il prend sa palette et peint sur sa toile une tache rouge, au milieu de l'écume. Quésaco? Une bouée pardi, censée guider les navires à la sortie du port.


Le lendemain, le public arrive... et la magie opère. Ce point rouge au milieu d'un océan pastel attire tous les regards. On s'approche, on plisse les yeux, on recule... et on s'extasie. Au point d'en oublier l'œuvre chamarrée de Constable.


Ce dernier, dépité, dira: "Turner est venu, et il a tiré un coup de canon."


Il aura suffit d'une touche de peinture. Rouge. Inattendue. Incongrue. Dissonante. Un hameçon pour accrocher l'attention du public.


La concurrence est notre quotidien. Et dans un monde saturé d'informations, on a souvent l'impression que le seul moyen de s'imposer est de crier plus fort et de s'afficher plus grand que les autres.


Mais la bouée de Turner nous rappelle qu'il suffit parfois de peu de chose pour capter l'attention du public.


Une image originale, un slogan audacieux, une idée contre-intuitive... Tout ce qui peut susciter l'étonnement a le pouvoir de nous élever au dessus du vacarme ambiant.


Alors si vous avez l'impression que votre business prend l'eau dans un océan communicationnel déchaîné... cherchez donc votre bouée.

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