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  • Grégoire Jeanmonod

Quelques secondes de pure poésie...

J'ai découvert il y a quelques jours une comptine qui depuis m'habite et refuse de sortir de ma tête. Il s'agit d'une histoire d'orphelin, assez sinistre je vous l'accorde... Mais après tout les chants les plus beaux ne sont-ils pas les plus désespérés? (ce n'est pas moi qui le dit, mais ce bon vieux Alfred de Musset, qui savait de quoi il parlait) Le texte est signé Georg Büchner - dont je n'avais pas lu un traitre mot avant la semaine dernière, je le confesse -, et issu de sa pièce inachevée Woyzeck (1837). Mais c'est au détour d'un album du génial Tom Waits que je l'ai entendu pour la première fois, sous le titre "Children's story". Je vous laisse écouter la voix grave et rocailleuse du bluesman réciter sobrement l'histoire pathétique de ce petit garçon délaissé désespérément en quête de compagnie.



Pour ceux qui préfèrent la langue de Molière, voici le texte traduit en français:

" Il était une fois un pauvre enfant qui n’avait plus ni père ni mère, tout était mort et il n’avait plus personne au monde. Tout était mort, alors il est parti et jour et nuit il a pleuré. Et comme il n'y avait plus personne sur la Terre, il voulut aller jusqu’au ciel, et la Lune le regardait si gentiment, et quand enfin il arriva sur la Lune, ce n’était qu’un morceau de bois mort, et il alla jusqu’au Soleil, mais quand il arriva sur le Soleil, ce n’était qu’un tournesol fané, et quand il arriva sur les étoiles, ce n’était que des petites mouches dorées comme si une pie grièche les avait piquées sur un prunellier, et quand il voulut retourner sur la Terre, la Terre n’était plus qu’un pot de chambre renversé, et il était tout seul, et alors il s’est assis, et il a pleuré, et il est toujours assis, et il est toujours seul."


Je vous avais prévenus, ce n'est pas gai, gai. Mais à mon très humble avis (je ne suis pas poète), Büchner a condensé dans ces quelques lignes l'essence même de la poésie, voire de l'imagination toute entière. C'est-à-dire notre capacité à voir ce qui n'est pas, à bâtir des ponts entre ce qui est et ce qui pourrait être. Assimiler la lune à un vieux rondin de bois et le soleil à un tournesol flétri est un geste éminemment poétique, et suffisamment évocateur pour que nous puissions tous reconnaître dans la déception de cet orphelin nos propres désillusions. Il y a quelque chose de bouleversant dans le caractère d'universalité de ce poème: notre sentiment de solitude et notre besoin de connexion sont bien là, incarnés et portés par une prose simple et pourtant terriblement puissante.


Je me suis demandé ce qui me touchait autant dans ce conte. Et je crois avoir compris: c'est l'expression de nos angoisses et de notre vulnérabilité, que nous avons tant de mal à assumer alors que c'est pourtant ce que nous avons tous en commun. Derrière nos postures de professionnels inébranlables, experts et sûrs de nous, censées nous donner de l'autorité et inspirer la confiance, il y a l'image de cet enfant fragile prêt à tout pour en finir avec sa solitude. Mais peut-être - ce n'est qu'une question - faudrait-il pour qu'il y parvienne que nous acceptions de lever les masques, et de faire de notre vulnérabilité et de nos émotions la marque de notre humanité commune…

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