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On n'est jamais à l'abri d'une bonne idée

Grégoire Jeanmonod

L'Américain Robert Longo est un grand artiste.


Son truc, c'est le dessin. Des œuvres en noir et blanc ultra détaillées, dans un format géant qui leur confère une portée aussi spectaculaire que dramatique.


C'est dans les années 80 que Longo est sorti de l'anonymat, avec une série devenue iconique, baptisée Men in the City. Plus d'une soixantaine de dessins, au fusain et à l'encre, de plus de 2 mètres de haut.


Sur un fond blanc immaculé, des hommes et des femmes, en costume ou tailleur façon Wall Street, convulsent, gesticulent, se contorsionnent.


S'il fallait expliquer ces images aux accents tragiques, je prendrais une plume professorale pour écrire qu'elles se réclament d'un existentialisme urbain, et invitent à réfléchir sur la condition humaine dans le tumulte de notre monde capitaliste.


Mais je m'arrête là, de peur de livrer un discours pompeux qui ne rendait pas hommage au travail de Longo.


Je reviens donc à des considérations plus prosaïques: d'où viennent ces images?


Réponse: de photographies, prises par Longo sur le toit de son immeuble new-yorkais. Nous sommes en 1979, il a 26 ans, et il demande à ses amis de poser pour lui dans des positions improbables. Pour les forcer au déséquilibre, il les fait danser sur du rock à plein volume... et leur jette des pierres qu'ils esquivent en se déhanchant. Qui ne s'est jamais amusé à lancer des caillasses sur ses copains ?


Mais allons plus loin, et parlons inspiration: d'où vient cette idée?


Réponse: d'un film d'espionnage. "The American Soldier" de Fassbinder, sorti en 1970. Le protagoniste, dans la scène finale, se fait tirer dessus. Et il meurt comme on mourait au cinéma à l'époque: avec panache, au ralenti, dans un mouvement chorégraphié aussi expressif que peu réaliste.


C'est là que Longo a trouvé l'idée de ces dessins qui ont marqué sa carrière et son époque. Dans un film noir.


L'a-t-il visionné en cherchant l'inspiration? Probablement pas. Il l'a regardé comme nous nous plantons devant une série, par curiosité ou désœuvrement. Ce jour-là il aurait pu choisir un autre film, ou préférer lire un roman. Pourtant ces quelques minutes de cinéma ont décidé de son parcours d'artiste.


Voilà ce qui rend l'inspiration magique: parfois elle nous trouve sans que nous la cherchions.


Dans n'importe quelle activité, même la plus anodine, se cache peut-être l'image, le mot ou le concept sur lequel nous bâtirons nos projets futurs. Un jeu en famille, un footing en forêt, un magazine qu'on feuillette, une sortie entre amis: chacun de ces moments est susceptible de déclencher en nous une étincelle pleine de promesses.


Le plus important est de rester alerte, et de nous laisser impacter par toutes les émotions même - et surtout - lorsque nous ne travaillons pas.


Car voilà où résident les grandes idées: dans les replis de notre quotidien.

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