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Les joies de l'expérimentation

Grégoire Jeanmonod

Connaissez-vous un psychologue du nom de Joy Paul Guilford?


Je suis sûr que vous vous êtes déjà livré à son expérience la plus célèbre, mise au point en 1967: le "test des usages alternatifs".


Réunissez des collègues, prenez un trombone, et donnez la consigne suivante: "Trouvez autant d'usages que possible à cet objet." Broche, épingle, stylet, hameçon, poinçon, cure-dent (n'en parlez pas à votre dentiste), etc... Des heures d'amusement en perspective.


Bon, niveau poilade, on reste dans le domaine du raisonnable, je vous l'accorde. Mais l'exercice est intéressant en termes de créativité: il s'agit d'encourager la "pensée divergente".


L'idée, c'est de considérer l'objet non plus pour son usage présumé, mais pour ses propriétés intrinsèques.


Quel rapport avec les œuvres que vous avez sous les yeux?


Elles sont toutes du même artiste: Max Ernst. Et il aurait sans doute battu des records au test des usages alternatifs.


Ernst a fait partie de deux mouvements artistiques parmi les plus féconds et créatifs du 20ème siècle: Dada et le Surréalisme.


Et ce qu'il aimait par dessus tout, c'est l'expérimentation. Il n'a eu de cesse d'imaginer de nouvelles manières de créer des images. Pas en développant des technologies innovantes, mais en détournant des outils de leur usage orthodoxe.


Donnez-lui une trousse d'écolier, et il créera un truc à faire saliver les afficionados de la FIAC.


Il a notamment inventé, développé ou perfectionné les procédés suivants:

- Frottage. Simple, mais efficace. Prenez une feuille de papier, posez-la sur une planche de bois, et frottez avec une mine de crayon. Magie!

- Grattage. Appliquez plusieurs couches de peinture sur un support, laissez sécher, et avec un trombone (hé hé), grattez pour dessiner par soustraction.

- Décalcomanie. Mettez de la peinture fraîche sur une toile, pressez une plaque de verre, puis retirez-la délicatement. Effet garanti.

- Oscillation. Suspendez un pot de peinture percé au dessus d'une feuille, et laissez-le se balancer - et se vider - pendant que vous buvez votre café.


Son génie, c'est de s'être rappelé qu'un outil, au delà de la fonction pour laquelle il a été conçu, présente des qualités qui peuvent être employées différemment.


Il en est de même pour tous les instruments - physiques ou digitaux - dont nous nous servons dans nos métiers.


Le problème, c'est qu'un biais cognitif appelé "fixité fonctionnelle" nous fait associer un outil à un usage unique. Un crayon, c'est fait pour tracer. Point.


Mais quelle créativité pourrions-nous déployer si nous développions une "pensée divergente" à l'égard de nos ressources?


Nous pensons souvent l'innovation comme un effort visant à inventer de nouveaux outils. Peut-être devrions-nous aussi l'envisager comme un jeu consistant à détourner ceux existants.

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