Encore un post sur les USA?!... Oui, mais à une époque où les milliardaires étaient trop occupés à bâtir des gratte-ciels pour lancer des fusées.
J'ajoute que c'est d'artistes français dont il va être question ici: Monet, Renoir, Degas et leurs amis.
Paris, 1885. Onze ans après la première exposition impressionniste, ces peintres épris de modernité n'ont toujours pas réussi à faire admettre la valeur de leur travail. De fiascos commerciaux en échecs critiques, l'acharnement de leurs détracteurs ne faiblit pas: leur esthétique séduit autant qu'un menu végan dans un restaurant de grillades.
Leur principal soutien, c'est Paul Durand-Ruel, leur marchand. Pour les défendre il frôle la faillite, leur achetant des œuvres sans espoir de les revendre pour qu'ils puissent continuer à créer. Plus tard, Monet écrira que "sans lui, les Impressionnistes seraient morts de faim."
Cette année-là, un événement change la donne. Durand-Ruel est invité par l'American Art Association à exposer à New York.
La peintre Mary Cassatt, Franco-Américaine qui a rejoint le groupe impressionniste, l'encourage à accepter. Mieux: elle active son réseau américain en sollicitant son amie d'enfance Louise Havemeyer, épouse du magnat du sucre Henry Havemeyer.
L'exposition new-yorkaise a donc lieu. Et non seulement Havemeyer sort le chéquier, mais l'accueil critique est très favorable.
Rapidement, les richissimes Vanderbilt, Spencer et autres Potter Palmer se ruent sur ce nouvel art français. L'engouement est réel: le soleil brille enfin dans le ciel impressionniste.
Durand-Ruel a compris que ce qui freinait l'adoption de l'Impressionnisme en Europe, c'était le poids de cinq siècles de tradition picturale. L'académisme y était trop ancré pour qu'une telle audace soit tolérée. Il aura donc fallu trouver un marché nouveau, dans un pays neuf en quête d'une identité culturelle tournée vers l'avenir.
Imaginez la réaction des collectionneurs français, quand le marchand rentre triomphant au bercail et leur dit en substance: "Faites ce que vous voulez, mais sachez que ces types, là-bas, qui brassent des fortunes comme vous n'en possèderez jamais et construisent des immeubles comme vous n'en bâtirez jamais... ils adorent!"
C'est ainsi que les critiques parisiens ont revu leur jugement... et que les Impressionnistes sont entrés dans l'histoire.
Alors si vous avez un projet auquel personne ne croit ou un produit dont personne ne veut, ne jetez pas l'éponge trop tôt. Demandez-vous d'abord si le problème n'est pas le marché auquel vous vous adressez. N'y a-t-il pas des freins culturels ou sociaux que vous pourriez contourner en frappant à d'autres portes?
Nul n'est prophète en son pays, dit-on. Mais rien ne nous empêche d'aller voir ailleurs... pour ensuite revenir plus fort.
Illustrations:
Claude Monet, Bords de Seine, Vétheuil, 1880
Photos de Paul Durand-Ruel et Mary Cassatt