- Grégoire Jeanmonod
Le dilemme du disquaire… ou la magie de l'inclassable
Ibrahim Maalouf est un artiste important. Pas seulement parce que ses musiques sont sublimes (c'est en tout cas mon opinion), mais aussi parce qu'elles sont à la croisée de plusieurs styles musicaux, et incarnent merveilleusement la fertilité du métissage de cultures différentes. Ce Franco-libanais, trompettiste et compositeur, est né à Beyrouth en pleine guerre civile puis a grandi en banlieue parisienne dans les années 80. Son père, lui-même musicien professionnel, l'a initié très tôt à la fois à la musique classique, contemporaine, occidentale et orientale. Il aurait même inventé une trompette dite "microtonale", capable de jouer les quarts de ton indispensables dans la musique arabe. Perso, je n'y connais rien, mais si ça vous intéresse Wikipédia vous en dira plus sur le sujet.
Le fait est qu'en écoutant Ibrahim Maalouf, en solo ou accompagné d'un orchestre symphonique, nous avons l'impression d'explorer simultanément différentes cultures et différents genres musicaux: les sonorités jazz se mêlent aux accents orientaux, l'orchestration classique se teinte d'influences arabes, les riffs de guitare succèdent aux impros de trompette. Le résultat: des mélodies capables de séduire à la fois les auditeurs néophytes et les musiciens chevronnés, amateurs de mélopées orientales comme d'envolées jazzy. Dans ces conditions, on imagine aisément la perplexité du disquaire recevant un nouvel album d'Ibrahim Maalouf: dans quel rayon convient-il de disposer le disque? Classique? Jazz? Musiques du Monde? "Fusion"?... Un dilemme qui en dit long sur la variété de son répertoire, mais aussi sur notre besoin incurable de classer, trier, catégoriser, coller des étiquettes, pour aider notre cerveau à appréhender la complexité de notre monde au risque d'en perdre la richesse.
En deux mots, Ibrahim Maalouf est un bâtisseur de ponts. Sa musique est un trait d'union entre des générations, des cultures et des modes de vie qui pourraient si facilement se replier sur eux-mêmes. Elle nous prouve à longueur de disques que la rencontre avec l'altérité est magique, dès lors qu'on accepte de l'envisager comme une ouverture plutôt que comme une confrontation. Elle nous montre qu'en musique comme ailleurs, notre capacité à innover, à progresser - et peut-être à émouvoir - dépend de notre aptitude à faire dialoguer entre elles des pratiques différentes, issues de cultures autres. Elle nous rappelle enfin qu'à l'heure où la question de la diversité se pose partout et où la tentation du communautarisme fait des ravages, il devient urgent de valoriser le métissage. Ibrahim Maalouf, pour toutes ces raisons, est un artiste important.