Cette fresque, retrouvée à Pompeï, est une copie d'un tableau perdu d'un maître de la peinture antique, au Vème siècle avant JC: le Grec Timanthe de Cythnos.
Elle décrit le Sacrifice d'Iphigénie.
Petit rappel pour ceux qui ont séché les cours de grec ancien.
La scène se déroule juste avant la Guerre de Troie, et comme pas mal de récits antiques elle est d'une violence à faire passer American Psycho pour une version édulcorée du Petit Prince.
Le roi Agamemnon est censé mener la coalition des cités grecques. Le problème, c'est qu'à cause d'un bête accident de chasse, il s'est mis à dos la déesse Artémis... qui du coup retient les vents pour gêner sa flotte. La seule manière d'apaiser sa colère, selon le devin de garde, c'est de lui sacrifier la fille d'Agamemnon: Iphigénie.
Voilà donc qu'on emmène la jeune femme vers l'autel... et ce n'est pas pour la marier. Elle implore, se débat, mais son destin est scellé.
Agamemnon, à gauche, tourne le dos au drame, essayant de ne pas céder aux supplications d'Iphigénie. Il a consenti au sacrifice de sa fille, et il est dévasté.
C'est là que Timanthe est tombé sur un os: comment représenter une souffrance aussi intense que celle d'un père envoyant sa propre fille à la mort?
Pline, chroniqueur infatigable de l'Antiquité, raconte comment le peintre a relevé la gageure: "Après avoir épuisé tous les modes d'expression de la douleur, il voila le visage du père, dont il était incapable de rendre les traits."
On imagine Timanthe faire, défaire, refaire, cherchant en vain à imprimer sur le visage du roi l'indicible affliction. Pour finalement comprendre que la solution était de faire le contraire: ne pas peindre ce visage. Le cacher dans sa main.
Idée contre-intuitive, mais follement efficace.
Ce qu'a fait Timanthe, c'est ce qu'on appelle un "recadrage". Face à un problème insoluble, il a reformulé - voire redéfini - son objectif.
Il a compris que son but n'était pas de peindre les traits d'Agamemnon, mais d'exprimer sa douleur. Et qu'un rictus baigné de larmes ne serait jamais aussi évocateur qu'une tête enfouie dans une main.
Les challenges que nous avons à relever au quotidien ne sont pas différents.
Quand nous rencontrons un obstacle, notre instinct nous pousse à essayer de le forcer, en remettant s'il le faut vingt fois sur le métier notre ouvrage. Ce qui, parfois, s'avère payant.
Mais une option créative est de redéfinir notre objectif. Que cherchons-nous réellement à obtenir? Après quel but courons-nous? Quel intérêt cache la cible que nous essayons d'atteindre?
En prenant de la hauteur sur nos enjeux, nous nous donnons une chance de contourner l'obstacle et de concevoir des solutions inattendues... mais diablement puissantes.
Ou alors, on peut toujours continuer à se prendre la tête.