Le Persée de Benvenuto Cellini, achevé en 1554, est une des sculptures les plus spectaculaires de la Renaissance Florentine.
Perché sur son socle, le héros brandit la tête tranchée de Méduse dont le sang continue de ruisseler à 6 mètres du sol.
Mais ce qui la rend exceptionnelle, c'est qu'elle est en bronze. Et ça, c'est le résultat d'une prouesse technique à faire pâlir Elon Musk.
En 1971, des analyses ont permis d'établir que si la tête de Méduse, fondue à part, est bien composée de cuivre et d'étain (les ingrédients du bronze), Persée, lui, contient aussi du plomb et du zinc... qui n'ont rien à faire là.
Explication.
Précisons que Cellini est avant tout orfèvre. Son job, c'est les vases et les chandeliers. Pas les statues monumentales.
Alors quand il est choisi pour sculpter Persée, il décide d'utiliser son expérience en fonderie pour accomplir l'impossible: au lieu de réaliser les différentes parties de la statue séparément pour les souder ensuite, il entreprend de couler son Persée de 3,20 mètres en un seul bloc de bronze.
Débute alors un chantier épique: façonnage d'un modèle en cire, création d'un moule, fabrication d'un fourneau, mise au point d'un système de tubes permettant l'insertion du métal fondu, etc...
L'étape cruciale, c'est le coulage du bronze dans le moule.
Le jour J, Cellini est si stressé qu'il en tombe malade. Fiévreux, il délègue l'opération à ses assistants pour aller s'allonger.
Mais après quelques heures, on vient le chercher en urgence: c’est la catastrophe. Le bronze coagule prématurément, le couvercle du four menace d'éclater, et pour couronner le tout le toit de l'atelier a pris feu. La totale.
Cellini sort de sa torpeur, donne ses ordres pour maîtriser l'incendie, et fait jeter des bûches dans le four pour liquéfier le métal durci.
Mais comme le bronze est encore trop épais, il comprend qu'il doit y ajouter de l'étain et du laiton. Toute sa vaisselle y passe : assiettes, plats et coupes sont plongés dans la matière en fusion. C'est de là que viennent le zinc et le plomb présents dans l'alliage final.
Cellini a sauvé son chef d'œuvre au prix de son service de table.
Cet exploit nous rappelle que l'art n'est pas qu'une affaire d'inspiration et de créativité, mais aussi de connaissance des matériaux, de maîtrise des process... et de sang-froid. ;)
Il en va de même dans nos métiers. Les idées sont capitales, mais les moyens pour les mettre en œuvre également. La conception n'est rien sans le savoir-faire qui préside à l'exécution.
Et comme nous n'avons pas tous, comme Cellini, un talent égal dans la conception et l'exécution, il est bon de se rappeler l'importance de ceux qui sont sur le terrain. Sur les chantiers, dans les usines, les ateliers, face aux clients ou aux usagers. Ceux qui sont là quand le toit brûle et le four surchauffe.
Car si d'autres maîtrisent l'art, eux connaissent la matière.