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Grégoire Jeanmonod

Grandes stars, petits métiers et cultures lointaines


Et si la passion de l'humain était un art ?...


"Il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens", écrivait Van Gogh.


De ce point de vue, le photographe Irving Penn était un immense artiste.


Portraitiste de légende et pilier du magazine Vogue pendant plus de 60 ans, Penn a photographié toute la scène artistique et intellectuelle du XXème siècle. Des mannequins glamour aux stars de cinéma, des romanciers majeurs aux vedettes de music-hall, de Hitchcock à Picasso en passant par Piaf et JFK, ils sont tous passés devant son objectif.


Sa spécialité? Les portraits en studio, toujours réalisés dans les mêmes conditions: une mise en scène épurée sur un fond neutre, seulement constitué d'un large pan de papier ou de toile. Avec un travail extrêmement soigné, ça va de soi, sur la lumière.


Mais là où le travail d'Irving Penn devient encore plus intéressant, c'est qu'il ne s'est pas contenté de photographier les plus célèbres de ses contemporains. Au contraire, il a réalisé des séries entières de portraits d'anonymes.


D'abord, il a porté son attention sur les "petits métiers" ("small trades"): ici une marchande de ballons, là un ramoneur, des charcutiers, un pompier ou un facteur...


Puis il a fabriqué un "studio mobile", avec lequel il est allé au Bénin, au Népal, au Cameroun, au Pérou ou encore au Maroc, pour en photographier les habitants dans leurs tenues traditionnelles.


Et toujours, la même mise en scène, la même exigence, le même soin apporté à chaque aspect de la prise de vue.


C'est ça, il me semble, l'aspect le plus remarquable du travail d'Irving Penn: il traitait le paysan camerounais et le cireur de chaussures parisien avec autant d'égards que la star de cinéma hollywoodienne.


Il expliquait: "Je veux m'occuper seulement de la personne, loin des incidents de sa vie quotidienne, portant simplement ses vêtements et ornements, isolée dans mon studio."


Ainsi, en extirpant ses sujets d'un contexte social qui aurait pu s'avérer exotique ou trivial, valorisant ou dégradant, il a célébré la condition humaine dans toute sa dignité, sa beauté et son universalité.


Alors la question se pose: combien parmi nous s'attachent, comme lui, à porter un même regard sur le célèbre et l'anonyme, sur le puissant et l'indigent, sur le proche et le lointain? Et combien, au travail, saluent l'agent d'entretien avec autant de considération que le CEO?


Trop peu, probablement. Et pourtant, au risque de basculer dans la bien-pensance sirupeuse, j'ai l'intuition que nous serions beaucoup plus épanouis si nous marchions dans les pas d'Irving Penn...

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