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Grégoire Jeanmonod

Faire et défaire : la voie de l'excellence


Johannes Vermeer n'a produit qu'une quarantaine d'œuvres. Pourtant, son nom suffit à faire surgir dans notre esprit des images devenues iconiques.


Une laitière s'affairant dans sa cuisine, une dentelière concentrée sur son ouvrage... Les scènes d'intérieur de Vermeer ont en commun une atmosphère de quiétude et d'intimité qui, 350 ans après leur création, n'en finit pas de nous troubler.


Mais si nous connaissons ses peintures, nous ignorons souvent ce qu'elles cachent. Au sens littéral du terme.


En général, pour comprendre le travail d'un artiste, les historiens se basent sur ses dessins, croquis ou esquisses. Mais dans le cas de Vermeer, rien. Nada. Pas un crobard dans les cartons.


Cependant, au fil des 40 dernières années, plusieurs de ses toiles ont été passées aux rayons X au détour d'une restauration ou d'une analyse.


En révélant les couches inférieures des tableaux, ces examens ont mis à jour les "repentirs" du peintre - modifications apportées lors de la genèse de l'œuvre.


Qu'a-t-on découvert ? Que Vermeer avait effacé lui-même de nombreux éléments de ses toiles.


Ainsi, dans la Dame au collier de perles, il avait peint initialement une carte géographique dans le décor et un luth sur une chaise. Dans la Laitière, il y avait un porte-pichets au mur et un panier au sol. Ailleurs, c'est un personnage qui a disparu, une chaise, un rideau...


A chaque fois, Vermeer a fait le choix de la sobriété, parce qu'il jugeait que ces éléments nuisaient à la lisibilité du tableau. Un mur nu, une chaise vide... Less is more.


Pourtant, ces objets - la carte, le luth - se retrouvent dans d'autres toiles, où Vermeer a visiblement préféré les conserver.


Et ça, ça en dit long du processus créatif de Vermeer: selon toute apparence, il commençait par "charger" sa toile avec des éléments épars, pour ensuite procéder par soustraction en recouvrant ceux qu'il trouvait inopportuns.


Pourquoi se donner le mal de peindre ces objets avec soin si c'était pour les effacer ensuite? Parce qu'il avait besoin de voir pour juger. Et donc de faire... pour défaire.


Nous avons tous déjà eu l'impression d'avoir perdu du temps en jetant à la poubelle un travail dans lequel nous nous étions investi. Un texte qu'on renonce à publier, un projet qu'on remanie, un PowerPoint qui s'avère superflu...


Mais ce n'est pas parce qu'un travail n'est pas "utilisé" qu'il est n'est pas "utile". Car il est parfois nécessaire de faire une chose pour comprendre qu'il est urgent de s'en passer. Même si cela contrevient à notre désir de rentabiliser notre temps et nos efforts.


N'oublions pas la leçon de Vermeer: parfois, ce que nous vivons comme une erreur est en réalité un chemin vers l'excellence.

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