Marie se penche sur le corps de Jésus gisant sur ses genoux. Que vous soyez croyant ou non, je vous défie de rester de marbre devant la Pietà de Michel-Ange.
Le sculpteur, d'alors 24 ans, l'a réalisée en 1499 pour une chapelle de la basilique Saint-Pierre de Rome.
Et comme souvent chez lui, rien n'est laissé au hasard.
Alors que la composition pyramidale se réfère à la Trinité, la taille respective des personnages - Marie est immense - s'explique par la prise en compte de la perspective, la statue étant conçue pour être vue en contre-plongée.
Quant au visage juvénile de Marie, l'artiste l'a justifié lui-même : "La mère devait être jeune pour paraître éternellement vierge."
Bref, tout concourt ici à exalter la foi catholique.
Mais il y a un détail qui est longtemps passé inaperçu. C'est la dentition du Christ.
Michel-Ange l'a affublé d'une 33ème dent : une incisive centrale, logée dans l'axe du nez. WTF ?!
Cette "mésiodens" est en réalité une malformation qui touche moins de 2% des individus. Et comme à la Renaissance on a vite fait d'associer la moindre anomalie physique à un esprit vicié ou malfaisant, cette dent supplémentaire est perçue comme un signe de violence et de bestialité.
Il est donc logique qu'on la retrouve sur des représentations de démons et autres personnages peu recommandables.
Mais pourquoi sur Jésus ? Michel-Ange aurait-il blasphémé ? Impossible, compte tenu de sa ferveur religieuse. Alors qu'est-ce qui lui a pris ?
En 2014, l'historien Marco Bussagli a livré son explication. L'artiste aurait voulu rappeler que Jésus, en mourant, a pris sur lui tous les péchés de l'humanité. Cette dent serait donc le symbole de son rôle de Rédempteur universel. CQFD.
Oui mais voilà. Il y a quand même un truc qui me turlupine.
Pourquoi Michel-Ange s'est donné la peine d'entrouvrir les lèvres de Jésus pour y introduire un détail qu'aucun de ses contemporains ne pourrait voir ?
Car il aurait fallu pour ça escalader le socle, s'appuyer sur Marie et coller son nez à celui de Jésus. Alors seulement, avec une bonne vue, on aurait eu une chance de compter ses ratiches.
Seule réponse crédible : Michel-Ange se fichait qu'on voit cette dent. Lui savait qu'elle existait, et ça lui suffisait.
Voilà peut-être ce qui fait l'excellence d'une œuvre, mais aussi - pour en venir à nous - d'un produit ou d'une solution : ce qui existe sans être montré.
Car si vous en êtes à ce niveau de détail, c'est sûrement que le reste de votre travail relève de la même exigence.
Ce que d'autres prennent pour un zèle absurde est peut-être, pour vous, la marque de l'amour du travail bien fait.
Alors la prochaine fois qu'on se moquera du soin exagéré que vous portez aux infimes détails d'un dossier ou d'une présentation, souvenez-vous de la Pietà et souriez fièrement, à pleines dents.
Personne ne verra la différence ? Vous, si. Amen.